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Thierry Arsaut

 

[Janvier 2001]
“La typographie basque: ça brille, ça attrape l’oil, ça ne laisse pas le lecteur indifférent.”
Thierry Arsaut


Typo Basque

Quelle est l’origine des caractères basques ?

Les lettres basques tirent leur origine des lettres romaines. Mais bien avant cette époque, on retrouve des traces d’occupation du Pays Basque par des peuplades du paléolithique inférieur (80 000 ans av. J-C.). Le Pays Basque conserve des vestiges de dolmens, tumulus funéraires, grottes sépulcrales dès 9000 ans avant l’ère chrétienne. Certains motifs contenus dans la police de caractères Kutxas remontent à cette époque. J’ai créé cette police afin de concentrer la majorité des symboles basques essentiels. Les outils agraires mais aussi les haches de pierres et autres symboles guerriers s’y trouvent réunis. Les troupes romaines ont néanmoins pacifié un large territoire, allant du sud de la loire au Pyrénées, vers 200 av. J-C. : ils l’ont nommé la Novempopulanie, province des neuf peuples, parmi lesquels les Santons (Saintonge centrée autour de la ville actuelle de Saintes), Burgondes (centrés autour de la ville actuelle de Bordeaux) et Vascons, centrés autour de la ville actuelle de Bayonne, créée pour l’occasion par les Romains sous le nom de Lapurdum.
C’est de la taille dans la pierre des caractères Romains que vient la forme des actuelles lettres basques. Il est par ailleurs remarquable de noter que la notion d’outil tranchant est en langue Basque inséparable du préfixe « aitz », qui signifie la pierre en Basque, ceci même depuis l’ère de l’usage des métaux. Bien que les peuplades Celtes aient apporté la technique du Fer chez les Vascons, la maîtrise des tranchants d’outils était bien moindre chez les forgerons basques que chez leurs homologues celtes ou romains.

Pour cette raison, les graveurs sur pierre vascons se sont mis à tailler les caractères en saillant alors que les Romains taillaient les leurs en profondeur. Ceci a eu deux effets : le premier a été que l’usure du temps a produit ses effets plus vite sur les sculptures vasconnes que sur les romaines, le second a été de donner aux caractères vascons une charpente bien plus large que leurs homologues romains, faiblesse technologique oblige. La police Classic en est une assez bonne illustration.

Peut-on parler de typographie basque à proprement parler ? Ou finalement s’agit-il de caractères typographiques s’inspirant des inscriptions basques ?

Comme on l’a vu plus haut, les caractères basques ont une filliation bien plus ancienne que le style Gothique, Anglais ou Helvetique. Oui, il y a bien évidement une typographie propre aux Basques et celle-ci remonte à des temps très anciens. Possédant beaucoup de caractéristiques rares, les Basques ont aussi cette caractéristique-là. Bien peu de peuples peuvent aujourd’hui revendiquer ce genre de particularisme. Quand on sait que la langue basque reste, dans l’Occident d’aujourd’hui, la seule langue pré-indo-Européenne encore vivante, on imagine bien la capacité de ces gens-là à conserver leur patrimoine. Dans ces conditions, je pense qu’on peut parler spécifiquement d’une typographie propre aux Basques. Eux seuls ont su conserver aussi fortement une définition de la manière d’écrire, sans se laisser prendre dans les modes typographiques des siècles passés.

Quelle est la nature des travaux réalisés avec ces caractères ?

La nature des travaux réalisés avec les lettres de type Euskara est le plus souvent du titrage. Celà est dû bien évidement à la forte graisse du caractère, pour les raisons liées à l’origine antique citée plus-haut.

Qui utilise aujourd’hui vos caractères ? Pour en faire quel usage ?

Je ne sais pas dessiner aujourd’hui un profil-type des utilisateurs de mes caractères. Ce que je peux dire, en revanche, c’est que le gouvernement basque autonome de Vitoria les utilise (l’Espagne a accordé l’autonomie administrative au Pays Basque en 1979). La chaine de Television Basque ETB les exploite sur ses banc-titres video, le quotidien El Diario Vasco aussi.

Plus près de chez nous, en France, les principales mairies ont intégré mes alphabets dans leur communication, même de grandes banques françaises commencent à intégrer mes travaux dans leurs plans de communication locaux. L’essentiel de l’usage étant affecté à de l’affichage, du titrage ou en renfort d’image de marque, notamment par les artisans. Au delà de l’aspect culturel, c’est bien à un usage d’identité que se réfèrent les utilisateurs.

Votre marché s’étend-il au delà de la sphère culturelle basque ?

Je ne parle pas de marché, à proprement parler, tant les volumes s’éloignent de la notion « grand public ». Mais il y a eu une grande vague d’émigration Basque dans le siècle passé. On trouve des colonies basques partout : dans chaque pays d’Amérique du Sud, aux USA, au Canada mais aussi aux Philippines, en Australie. J’ai reçu des demandes de tous ces pays, et même d’un éditeur de musique Japonais !

Quand vous créez un caractère, quelles sources utilisez-vous ?

Toutes. Absolument toutes. J’ai battu la campagne à la recherche de sculptures, de tombes, j’ai vu de tout. J’ai effectué beaucoup de croquis à main levée, pris énormément de clichés. Mais je suis allé aussi à la rencontre de sculpteurs familliaux qui se passaient des planches de motifs de pères en fils, celà depuis des siècles. J’ai aussi eu la chance de rencontrer plusieurs conservateurs de musées, comme le conservateur du musée de Basse-Navarre de St Palais, Mr.Urrutibéhéty, lequel est un spécialiste des stèles discoïdales. Son aide m’a été précieuse dans la compréhension de l’origine des caractères basques.

J’ai aussi reçu un coup de pouce de Mr.Pagola, conservateur du musée Basque de Bayonne, lequel m’a fait connaître un livre sur le sujet, écrit en 1948 par un passionné Argentin ! Une vraie mine de détails.

Enfin, un homme plus que tous, m’a donné le déclic sur le sujet : il s’agit du dentiste de mon père ! Passionné de taille sur pierre (le métier influant sur l’homme) , il m’a permis de consulter LE livre le plus complet sur le sujet : le fameux Colas. C’est la bible en la matière. Hélas, il n’en reste que quelques exemplaires en bon état et Jean Hayet, c’est le nom de ce personnage extraordinaire, en possède justement un... Je suis aussi allé étudier des bas-relief Romains dans les villes de Bordeaux et Saintes, afin de vérifier la thèse de l’origine Romaine. A ce sujet, j’ai même eu connaissance qu’un bas-relief de l’église de Bâle, en Suisse, possédait une fresque en caractères du IIIe siècle, en tous points identiques aux caractères Basques.

Avez-vous créé un caractère qui vous soit plus personnel ? Est-il possible de renouveler la typographie basque ?

Le caractère qui m’est le plus personnel est incontestablement la fonte que j’ai appellé Classic. Bien qu’étant le caractère le plus identifiant de la lettre basque, et donc naturellement le plus ancien, c’est aussi le corps sur lequel j’ai le plus « planché ». La difficulté a été de donner une apparence ancienne avec une technologie informatique récente. Une symétrie parfaite, qui est très dure à réaliser à main levée, est effectuée en un clin d’oeil sur ordinateur. Or, vous savez bien que celà donne un aspect froid au caractère. Les variations de graisse ont aussi été lourdes à « caler ». Il m’a fallu des heures et des heures pour régler l’oeil, tout en respectant les contraintes d’origine citées plus haut. Aujourd’hui encore, je reste insatisfait du résultat. Mais c’est un phénomène que tous les typographes connaissent bien... J’ai passé du temps aussi sur les fontes Old et Sculpture. Ce sont des produits dérivés de la Classic, mais celles-là servent de base à des travaux de défonceuses numériques pour faire des lettres extrudées en bois. L’objectif est de pouvoir graver les poutres des frontons de fermes agricoles « à l’ancienne », mais avec une technologie de pointe et des coûts modernes, très bas. C’est un peu comme expédier une hache de pierre sur la lune. Cette idée me plaît bien et je suis sur le point d’aboutir.

Il y a aussi d’autres bonnes façons de renouveller la typographie basque. Mr.Ramuntxo Partarrieu en apporte tous les jours la preuve au sein de sa société graphique Ostoa. Mr.Santos Bregana et sa société à San Sébastian, côté Espagnol du Pays Basque, fait lui aussi un effort avec sa fonte Kaï. J’ai d’ailleurs programmé le code de ces deux polices de caractères. Une autre méthode consiste à « basquiser » une police approchante, comme la Fritz Quadrata. Mais c’est une méthode rapide, baclée, qui laisse assez vite deviner le manque d’authenticité historique du travail...

Quelles sont les spécificités propres à la typographie basques ? (en matière de dessin, ligature, contrainte de composition)

Bon, disons-le tout net : un texte plein écrit en police Euskara, basque ou Vasca, c’est lourd et fatiguant pour l’oeil. Mieux vaut se limiter à du titrage ou de l’affichage. Dans ce domaine-là, ça brille, ça attrape l’oeil, ça ne laisse pas le lecteur indifférent. Le dessin est à la fois simple et rustique : quasiment pas de ligatures, quelques cursives bien léchèes (comme dans la police Irouleguia), et un petit i et un petit o de bas de casse que je recommande impérativement dans les titrages, car celà donne un aspect très charmeur et dansant à la lecture. Très peu de lettres bas de casse existent sur les sculptures et autres stèles. Là encore, la filiation romaine se fait sentir. Pour ces raisons, j’ai du créer entièrement toute une gamme de bas de casse. Les polices Modern, Ferrus et Irouleguia en sont un bon exemple. A part ça, j’ai beaucoup travaillé sur les approches de paires et les caractères accentués germaniques et espagnols. La fameuse croix basque est présente dans chaque fonte de chaque police. C’est un travail complet, le code est suffisament souple pour permettre aux fans d’Xpress et autres Illustrator de faire danser les chasses de caractères à leur gré. Le code PostScript passe sur toutes les flasheuses.


Article associé: portrait du caractère Basque Classic (Janvier 2001).