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Eric de Berranger

 

[Mars 2003]
“Je m’y suis lancé tête baissée. Je lisais tout ce qui concernait ce domaine, me rendais à des conférences, passais la moitié de mes nuits sur mes premières créations, essayais de comprendre le plus vite possible. J’étais passionné et ne parlais plus que de ça !”
Eric de Berranger


La Fonderie

Qui est Eric de Berranger en quelques mots ?

Un Toulousain expatrié de 29 ans, graphiste et typographe depuis 97/98, marié depuis 99 et papa d’un petit gars dans 2 mois et demi ;o). Je suis parti à Paris loin de la ville rose en 1993 pour suivre une prépa en arts graphiques à l’ESAG. Ensuite j’ai intégré le cycle supérieur de l’École de Communication Visuelle (ECV) durant lequel j’ai découvert la typo. En première année on nous sensibilisait déjà pas mal à cet aspect du design. Nous avons même eu à dessiner quelques lettres de 3 styles d’alphabet différents. Cela m’a tout de suite plu.

En seconde année, nous apprenions que Jean-François Porchez allait être notre prof de typo... C’était en 1995, en pleine médiatisation de Jean-François, alors tout récent créateur du nouveau caractère du quotidien Le Monde. Nous étions 2 ou 3 fondus de typo connaissant son travail. La nouvelle nous a ravis et galvanisés! C’est vraiment cette année là que j’ai découvert la typo, grace à lui. Je m’y suis lancé tête baissée. Je lisais tout ce qui concernait ce domaine, me rendais à des conférences, passais la moitié de mes nuits sur mes premières créations, essayais de comprendre le plus vite possible, etc. J’étais passionné et ne parlais plus que de ça!

Votre CV met plus en avant vos réalisations comme consultant graphique que comme typographe. Est-ce que cela signifie qu’on ne peut être typographe à temps plein ?

Si! Quelques un y arrivent. Cependant, vivre uniquement de la vente de caractères est devenu impossible. Certains en ont bien vécu il y a quelques dizaines d’années, mais aujourd’hui trop de choses ont changées. Un typographe indépendant vit de la création d’alphabets d’entreprises, de la conception ou réglages de logotypes, d’audit, etc. La vente de ses caractères ne représente qu’une petite partie de ses revenus. Aussi, certaines agences (comme Black & Gold par exemple) ont un typographe à plein temps qui vit donc grace à cette activité.

Pour ma part, je suis avant tout graphiste. Et la typo fait partie intégrante de cette activité. Il y a de la création typo dans beaucoup de mes travaux. J’ai juste ajouté une partie purement création d’alphabet à mon CV. Mais la typo est partout dans mon travail. Lorsqu’on me demande de créer un logotype, je suis à la fois graphiste et typographe. Certaines agences font finaliser leurs logos par des typographes. J’ai donc la chance de pouvoir me passer de cette étape ;o)

On vous présente souvent comme un disciple de Jean-François Porchez. Ce que semble en tout confirmer votre riche production de caractères de labeur...

Le fait de créer des caractères de labeur ne fait pas d’un typographe un disciple de Porchez ;o) Plus sérieusement, j’ai une profonde admiration pour Jean-François. C’est pour moi un grand typographe, hyper doué, engagé et passionné. En plus de ça, c’est avec lui que j’ai appris. J’ai donc naturellement été influencé par ses travaux, ses réflexions sur le dessin de la lettre, sur la lisibilité, etc. Disciple peut-être pas. Admirateur sans doute ;o)

Quel est le processus de création d’une typo ? Directement sur l’ordinateur ? En partant d’un concept plus général ?

La majeure partie du temps, je griffonne 3 ou 4 lettres de base (a, b, e, n par exemple) sur papier pour trouver le concept général. Ensuite je scan et redessine ces lettres à l’écran. Ensuite tout découle de ces premières lettres. Je reviens quelques fois au papier pour certaines capitales, quelques chiffres ou signes spéciaux. Mais rarement plus. Le Mosquito a été créé comme ça par exemple. Son cousin le Mosquito Formal a été entièrement conçu sur écran d’après le Mosquito original.

Pour le Maxime, le processus fut sensiblement le même. Avec cependant beaucoup plus de dessins de détails sur papier (empattements, terminaison du f, dessin du g, esperluette, lettres alternate, certaines ligatures, etc.).

Très souvent je trouvais ma forme au crayon, et sans forcément la scanner, je la reproduisais à la plume dans Fontographer. Ensuite le Oldbook (conçu à partir du Maxime), le Koala, l’Hector ou autre Helwissa n’ont pas connu un seul trait de crayon.

Parmi vos créations, laquelle vous tient le plus à coeur ?

Le Maxime et les Mosquito... Le Maxime parce que c’est ce que je voulais faire depuis longtemps... Un caractère de labeur inspiré de caractères du XVIe et XVIIIe siècle, avec des formes que j’affectionnaient. Un travail commencé avec le June quelques années avant, mais qui ne me satisfaisait pas du tout pour plein de raisons.
Ensuite les Mosquito tout simplement parce j’aime leur fausse simplicité et que je me suis régalé à les dessiner ;o)

Quelle typo créée par un autre auriez-vous aimé dessiner ?

Il y en a plein! Dans le désordre, je pense à certains caractères de Zuzana Licko comme le Tarzana ou le Mrs Eaves, le Parisine et Parisine Plus de Porchez (oui! encore lui ;o)). Je trouve ce caractère extra dans son dessin et d’autre part car il peut remplacer fort brillamment tout un tas d’alphabets à succès vus et revus, très souvent utilisés "par défaut", par manque de recherche ou de curiosité, parce qu’ils sont des valeurs sûres, donc lassants... Je pense à l’Helvetica, l’Arial, le Frutiger, l’Univers, etc. Ensuite me viennent quelques caractères, en vrac... Mais ils sont tellement attachés à leur créateur qu’il est difficile de se les approprier !

Qu’est-ce que La Fonderie ?

Une idée lancée pendant mes études avec deux étudiants. Nous étions tous les 3 passionnés ou attirés par la typo, le design "typo-graphique". Nous avions eu l’idée de créer un "label" réunissant plusieurs graphistes ayant tous diverses compétences. La typo, la mise en page, l’illustration, la photo, le multimedia... Cela nous permettait de communiquer sous un même nom, un même label et de répondre à toutes sortes de demandes. Nous avions même commencé un journal trimestriel, consacré à la création de caractères, assez complet, mêlant interviews, photos de typographes au travail, articles de fond, pages didactiques comme j’ai pu en faire après pour SVM Mac, etc. Et un site web...

Mais l’un de nous, à force de perfectionnisme exacerbé, a lassé le reste du groupe. Rien n’avançait, tout devait être toujours mieux, donc recommencé. À force de faire et refaire, le projet est entré en hibernation par ras le bol et perte totale de motivation. Pourtant au départ, nous en avions à revendre. Pour ma part, j’aurais préféré faire quelque chose de bonne qualité qui soit publié et peaufiné au fil des numéros plutôt que quelque chose de parfait qui ne voit pas le jour.

Cependant, malgré cet échec, nous maintenons notre association, persuadés que ce moyen nous permet de pouvoir accepter des projets qui requièrent des compétences différentes.

Quel est le cadre de votre mission chez Publicis Conseil sur le budget Renault ?

J’ai été contacté, en décembre 99, par le directeur de création du budget Renault de l’époque, Pascal Midavaine, pour participer à la création et au suivi de la nouvelle charte graphique publicitaire de la marque. Mon statut, plutôt pompeux, était celui de Type Director. J’ai travaillé sur cette charte durant 2 ans. En free lance et en CDD. Travail intéressant mais extrêmement frustrant pour un typographe. Faire accepter l’achat d’un caractère spécifique pour un budget tel que Renault relevait de l’exploit. Quant à la création d’un alphabet, inutile d’y songer... Bref, plus je piochais dans leur typothèque issue de la grande distribution mieux ils se portaient... Malgré tout j’ai pu faire passer quelques petites choses dont je ne suis pas mécontent! Mon immersion dans le monde de la pub que je ne connaissais pas m’a appris beaucoup de ce domaine parallèle à celui du design graphique. Ce sont réellement deux mondes différents !


Article associé: Maxime, portrait de caractère (Mars 2003).