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Peter Bilak

 

[Décembre 2006]
“Je préfère avoir un contact direct avec les utilisateurs finaux. Cela permet de voir comment les caractères sont réellement utilisés et peut être source d’inspiration pour d’autres projets de création de caractères. ”
Peter Bilak


Typotheque.com

Vous êtes slovaque et vivez aux Pays-Bas. Est-ce que ces deux cultures ont une influence sur votre travail ?

Bien sûr que l’endroit où une personne est née, a grandi et où il vit a toujours eu une influence sur un individu. Ce n’est pas différent avec moi, et mes années passées en Slovaquie, Angleterre, Etats-Unis, France et Pays-Bas ont profondément influencé mon travail. Quelquefois, il est difficile de déterminer lequel a eu le plus d’importance, et d’identifier clairement son influence : je pense que cela se passe à un niveau plus subtile, presque inconsciemment. Il est clair que depuis mon arrivée aux Pays-Bas mon travail est devenu plus organisé, et j’ai commencé à m’intéresser à la méthodologie du design, alors qu’auparavant (quand je vivais en Slovaquie) mon travail était plus intuitif. Mais on retrouve des traces de toutes ces influences mélangées dans ce qu’est mon travail aujourd’hui. Ce n’est ni purement néerlandais, ni purement slovaque, c’est le résultat de toutes ces influences.

Certains de vos caractères sont distribués par FontFont (l’Eureka par exemple), d’autres par la fonderie que vous avez lancé (Typotheque). Pourquoi ?

Je suis passé par FontShop pour commercialiser mes premiers caractères. En 1999, j’ai lancé Typotheque et ai décidé que toutes mes prochaines créations seraient autopubliées. Je préfère avoir un contact direct avec les utilisateurs finaux. Cela permet de voir comment les caractères sont réellement utilisés et peut être source d’inspiration pour d’autres projets de création de caractères. Un jour nous publierons également des caractères qui n’auront pas été dessinés par moi-même. C’est un défi très excitant de bâtir une petite fonderie focalisée sur la qualité, l’innovation et l’exploration d’idées contemporaines.

Avec l’Eureka et le Fedra, vous avez créé deux familles extrêmement complètes de caractères. Avez-vous un intérêt particulier pour ce type de projets ?

Type family Il n’y a pas eu de plan préétabli de créer une grande famille de caractères pour l’Eureka ou le Fedra. Lorsque les premières graisses ont été lancées et utilisées par d’autres designers, il est apparut rapidement que d’autres graisses trouverait leur utilité.

Les polices à chasse fixe (monospace) ont été créées pour un projet de rapport annuel, les polices phonétiques pour les dictionnaires : de fait plus il y a de personnes qui utilisent les caractères, plus le nombre de types d’applications grandit si bien qu’il existe aujourd’hui des caractères de textes et de titrage réunis dans une même famille. C’est là tout l’intérêt d’être en prise directe avec les utilisateurs. Aujourd’hui après près de cinq and de travail (dis)continu, je pense que le projet Fedra est achevé ; je peux enfin me consacrer à de nouveaux projets. Je vais vraiment chercher à dessiner des familles de caractères plus réduites désormais.

Avez-vous observé un intérêt plus grand pour les polices de caractères compatibles avec les langues d’Europe centrale depuis l’extension de l’Union Européenne vers cette partie du continent ?

Fedra SerifJ’ai observe un intérêt accru de la part des graphistes pour les polices de caractères multilingues; pas uniquement pour l’Europe centrale, mais aussi pour le grecque, le cyrillique, etc. L’émergence d’Unicode a permis à de nombreuses personnes d’explorer le monde de la typographie non-latine. Travailler pour le grec ou l’arabe, m’a également ouvert de nombreuses possibilités dans mon travail sur les caractères latins. Je pense que l’on peut s’inspirer de caractères non-latins qui font appel à des principes de construction différents.

J’ai également observe une amélioration de l’intérêt des graphistes centre-européens pour la création typographique. Pendant très longtemps, ils ont été ignorés par les principales fonderies de caractères, les obligeant à modifier des caractères existants, à adapter des logiciels pour pouvoir les utiliser, ce qui était loin d’être l’idéal. Désormais, ils bénéficient des mêmes fonctionnalités que leurs homologues d’Europe de l’Ouest ce qui leur permet de perdre moins de temps pour un résultat clairement amélioré.

Continuez-vous à suivre la création typographique en République tchèque et en Slovaquie ? Quelles peuvent-être les spécificités des caractères dessinés localement ?

Je me suis toujours intéressé au développement de la typographie en République tchèque et en Slovaquie, en écrivant pour des magazines locaux ou en participant à des conférences. Mon épouse Johanna a co-organisé une exposition sur la typographie tchèque et slovaque des vingt dernières années, qui a été vue dans de nombreux pays européens.

A Typotheque, nous publions un livre We want you to Love Type, qui documente cette exposition et les spécificités de la creation typographique dans la region. Johanna est en train d’écrire un essai qui explore les racines de la typographie tchécoslovaque.
Comme partout ailleurs, la typographie en Tchécoslovaquie suit les changements technologiques et les nouvelles tendances. Au-delà de cette généralité, il faut savoir que comme dans d’autres ’petit pays’, de nombreux designers se sont penchés dans les années 1920 à 1940 sur la définition du caractère national des caractères créés en Tchécoslovaquie. Des projets intéressants sont sortis de ce mouvement romantique national. La plupart d’entre eux reflétaient les besoins spécifiques des langues tchèque et slovaque qui sont des langues presque parfaitement phonétiques et qui font un usage intensif des signes diacritiques. Un mouvement similaire peut être observé aujourd’hui, avec l’élargissement du nombre d’utilisateurs de caractères typographiques.

Sur Typotheque.com, une section présente des exemples in vivo de vos caractères. Appréciez-vous généralement la manière dont les graphistes utilisent votre propre travail ?

Il ne s’agit pas d’aimer ou de ne pas aimer les réalisations. Ces travaux sont le résultat nécessaire de mon propre travail. Tout dessinateur de caractères créé fondamentalement un produit semi-fini qui a besoin d’être utilisé pour être complet. Etudier le résultat final avec l’apport du graphiste utilisateur est une source inestimable d’information car il offre la possibilité d’analyser et d’identifier les points qui ne sont pas optimaux. A Typotheque, nous publions régulièrement des mises à jour de polices de caractères qui corrigent des points mis en exergue dans les exemples que nous recevons.

Vous êtes également un professeur et un éditeur (du magazine dot-dot-dot). Vous considérez que le travail d’éducateur fait également parti de votre métier de dessinateur ?

Je m’occupe aussi de danse contemporaine en concevant des spectacles ; j’écris pour des livres et de magazines ; j’organise des expositions. Cela semble des activités très disparates, mais j’ai réalisé qu’en tant que designer je ne travaille pas avec des objets mais avec des questions sur lesquelles je peux réagir. Je pense que la diversité de mon travail multidisciplinaire, et mon expérience peuvent être pertinent dans différents domaines. Je pense que la diversité de mon travail renforce chacune des parties prises individuellement. J’ai tellement appris des danseurs et de leur approche du mouvement et de la tension que je peux appliquer cette expérience en travaillant dans l’animation ou même dans le dessin de caractères. Le point essentiel reste toutefois que travaillant au confluent de différents domaines, je peux prendre du recul et ne pas me perdre dans les détails, chose fort utile pour un dessinateur de caractères.

Quel est votre prochain projet ?

Les deux prochaines semaines je vais travailler sur un spectacle de danse qui se tiendra à La Haye en novembre. Il s’agit d’une continuation de ma collaboration avec Lukas Timulak danseur et chorégraphe au NDT.
Puis, je vais travailler sur une proposition de caractères pour un journal slovaque. Cela pourrait être le prochain caractère distribué par Typotheque.
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