Vous êtes slovaque et vivez
aux Pays-Bas. Est-ce que ces deux cultures ont une influence sur votre
travail ?
Bien sûr que l’endroit où une personne est née,
a grandi et où il vit a toujours eu une influence sur un individu.
Ce n’est pas différent avec moi, et mes années passées
en Slovaquie, Angleterre, Etats-Unis, France et Pays-Bas ont profondément
influencé mon travail. Quelquefois, il est difficile de déterminer
lequel a eu le plus d’importance, et d’identifier clairement son influence
: je pense que cela se passe à un niveau plus subtile, presque
inconsciemment. Il est clair que depuis mon arrivée aux Pays-Bas
mon travail est devenu plus organisé, et j’ai commencé
à m’intéresser à la méthodologie du design,
alors qu’auparavant (quand je vivais en Slovaquie) mon travail était
plus intuitif. Mais on retrouve des traces de toutes ces influences
mélangées dans ce qu’est mon travail aujourd’hui. Ce n’est
ni purement néerlandais, ni purement slovaque, c’est le résultat
de toutes ces influences.
Certains de vos caractères
sont distribués par FontFont (l’Eureka par exemple), d’autres
par la fonderie que vous avez lancé (Typotheque). Pourquoi ?
Je
suis passé par FontShop pour commercialiser mes premiers caractères.
En 1999, j’ai lancé Typotheque
et ai décidé que toutes mes prochaines créations
seraient autopubliées. Je préfère avoir un contact
direct avec les utilisateurs finaux. Cela permet de voir comment les
caractères sont réellement utilisés et peut être
source d’inspiration pour d’autres projets de création de caractères.
Un jour nous publierons également des caractères qui n’auront
pas été dessinés par moi-même. C’est un défi
très excitant de bâtir une petite fonderie focalisée
sur la qualité, l’innovation et l’exploration d’idées
contemporaines.
Avec l’Eureka et le Fedra, vous avez créé
deux familles extrêmement complètes de caractères.
Avez-vous un intérêt particulier pour ce type de projets
?
Il n’y a pas eu de plan préétabli de créer une
grande famille de caractères pour l’Eureka ou le Fedra.
Lorsque les premières graisses ont été lancées
et utilisées par d’autres designers, il est apparut rapidement
que d’autres graisses trouverait leur utilité.
Les polices à chasse fixe (monospace) ont été créées
pour un projet de rapport annuel, les polices phonétiques pour
les dictionnaires : de fait plus il y a de personnes qui utilisent les
caractères, plus le nombre de types d’applications grandit si
bien qu’il existe aujourd’hui des caractères de textes et de
titrage réunis dans une même famille. C’est là tout
l’intérêt d’être en prise directe avec les utilisateurs.
Aujourd’hui après près de cinq and de travail (dis)continu,
je pense que le projet Fedra est achevé ; je peux enfin
me consacrer à de nouveaux projets. Je vais vraiment chercher
à dessiner des familles de caractères plus réduites
désormais.
Avez-vous observé un intérêt
plus grand pour les polices de caractères compatibles avec les
langues d’Europe centrale depuis l’extension de l’Union Européenne
vers cette partie du continent ?
J’ai
observe un intérêt accru de la part des graphistes pour
les polices de caractères multilingues; pas uniquement pour l’Europe
centrale, mais aussi pour le grecque, le cyrillique, etc. L’émergence
d’Unicode a permis à de nombreuses personnes d’explorer le monde
de la typographie non-latine. Travailler pour le grec ou l’arabe, m’a
également ouvert de nombreuses possibilités dans mon travail
sur les caractères latins. Je pense que l’on peut s’inspirer
de caractères non-latins qui font appel à des principes
de construction différents.
J’ai également observe une amélioration de l’intérêt
des graphistes centre-européens pour la création typographique.
Pendant très longtemps, ils ont été ignorés
par les principales fonderies de caractères, les obligeant à
modifier des caractères existants, à adapter des logiciels
pour pouvoir les utiliser, ce qui était loin d’être l’idéal.
Désormais, ils bénéficient des mêmes fonctionnalités
que leurs homologues d’Europe de l’Ouest ce qui leur permet de perdre
moins de temps pour un résultat clairement amélioré.
Continuez-vous à suivre la création
typographique en République tchèque et en Slovaquie ?
Quelles peuvent-être les spécificités des caractères
dessinés localement ?
Je me suis toujours intéressé au développement
de la typographie en République tchèque et en Slovaquie,
en écrivant pour des magazines locaux ou en participant à
des conférences. Mon épouse Johanna a co-organisé
une exposition sur la typographie tchèque et slovaque des vingt
dernières années, qui a été vue dans de
nombreux pays européens.
A Typotheque, nous publions un livre We want you to Love Type,
qui documente cette exposition et les spécificités de
la creation typographique dans la region. Johanna est en train d’écrire
un essai qui explore les racines de la typographie tchécoslovaque.
Comme partout ailleurs, la typographie en Tchécoslovaquie suit
les changements technologiques et les nouvelles tendances. Au-delà
de cette généralité, il faut savoir que comme dans
d’autres ’petit pays’, de nombreux designers se sont penchés
dans les années 1920 à 1940 sur la définition du
caractère national des caractères créés
en Tchécoslovaquie. Des projets intéressants sont sortis
de ce mouvement romantique national. La plupart d’entre eux reflétaient
les besoins spécifiques des langues tchèque et slovaque
qui sont des langues presque parfaitement phonétiques et qui
font un usage intensif des signes diacritiques. Un mouvement similaire
peut être observé aujourd’hui, avec l’élargissement
du nombre d’utilisateurs de caractères typographiques.
Sur Typotheque.com, une section présente
des exemples in vivo de vos caractères. Appréciez-vous
généralement la manière dont les graphistes utilisent
votre propre travail ?
Il ne s’agit pas d’aimer ou de ne pas aimer les réalisations.
Ces travaux sont le résultat nécessaire de mon propre
travail. Tout dessinateur de caractères créé fondamentalement
un produit semi-fini qui a besoin d’être utilisé pour être
complet. Etudier le résultat final avec l’apport du graphiste
utilisateur est une source inestimable d’information car il offre la
possibilité d’analyser et d’identifier les points qui ne sont
pas optimaux. A Typotheque, nous publions régulièrement
des mises à jour de polices de caractères qui corrigent
des points mis en exergue dans les exemples que nous recevons.
Vous êtes également un professeur
et un éditeur (du magazine dot-dot-dot). Vous considérez
que le travail d’éducateur fait également parti de votre
métier de dessinateur ?
Je m’occupe aussi de danse contemporaine en concevant des spectacles
; j’écris pour des livres et de magazines ; j’organise des expositions.
Cela semble des activités très disparates, mais j’ai réalisé
qu’en tant que designer je ne travaille pas avec des objets mais avec
des questions sur lesquelles je peux réagir. Je pense que la
diversité de mon travail multidisciplinaire, et mon expérience
peuvent être pertinent dans différents domaines. Je pense
que la diversité de mon travail renforce chacune des parties
prises individuellement. J’ai tellement appris des danseurs et de leur
approche du mouvement et de la tension que je peux appliquer cette expérience
en travaillant dans l’animation ou même dans le dessin de caractères.
Le point essentiel reste toutefois que travaillant au confluent de différents
domaines, je peux prendre du recul et ne pas me perdre dans les détails,
chose fort utile pour un dessinateur de caractères.
Quel est votre prochain projet ?
Les deux prochaines semaines je vais travailler sur un spectacle de
danse qui se tiendra à La Haye en novembre. Il s’agit d’une continuation
de ma collaboration avec Lukas Timulak danseur et chorégraphe
au NDT.
Puis, je vais travailler sur une proposition de caractères pour
un journal slovaque. Cela pourrait être le prochain caractère
distribué par Typotheque.
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2006)
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