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Alejandro Lo Celso

 

[Juillet 2003]
“Mon travail en tant que créateur de caractères, comme le travail de bien d’autres en Amérique Latine, est le travail de quelqu’un qui croit que les idées de diversité culturelle et d’identité subversive, sont les moyens nécessaires par lesquelles interagissent le designer et sa culture.”
Alejandro Lo Celso


Pampa Type

Quel est l’homme derrière PampaType ?

J’ai fait des études de graphiste  à Córdoba en Argentine où je suis né. J’ai ensuite travaillé pour des journaux et des magazines à Buenos Aires avant de décider d’approfondir ma connaissance de la typographie que j’ai toujours aimée. J’ai donc déménagé en Europe et suivi deux cours de postgraduate à l’Université de Reading (Royaume Uni) et à l’ANRT (à Nancy). J’habite actuellement à Puebla, au Mexique, où j’enseigne la typographie et la mise en page à l’Universidad de las Américas Puebla.

PampaType a été créé quand j’étais encore en Angleterre avec derrière la tête l’idée de mettre au monde de nouveaux caractères qui seraient adaptées à la transcription des langues européennes mais aussi seraient le reflet d’un esprit latin, frais. Mes obsessions littéraires font partie intégrante de ce processus. J’ai en effet trouvé dans les pensées et les émotions des auteurs de ma région (Julio Cortázar, Jorge Luis Borges, Macedonio Fernández, Roberto Arlt...) un excellent matériel de base pour travailler sur les formes des lettres.

Ma carrière de graphiste ne m’a pas encore complètement comblé. J’adore lire et j’adore les livres, si bien qu’en fait, la typographie constitue pour moi une sorte de niche personnelle, où je trouve bien plus de plaisir que dans le design graphique commercial. Enseigner est aussi une activité intéressante. Cela vous fait interagir avec les gens et le savoir de manière très dynamique. Je suis très heureux avec tout cela.

Vous semblez être un spécialiste de la relecture de caractères classiques. Pourquoi cet intérêt ?

Je ne pense pas être un tel spécialiste. Il y a des gens comme Robert Slimbach ou Matthew Carter qui font autorité en la matière. Je pense que la relecture est un facteur majeur de l’évolution du dessin de caractères.

Lorsque j’étais à Reading, j’ai été saisi par cette citation de Stanley Morison en 1923 : «Ne faisons pas d’erreur, l’avenir se fera avec les typo anciennes ». J’ai écrit un essai sur le sujet (qui peut être télécharger sur mon site), en essayant de mettre en évidence pourquoi le fait de relire un caractère est si contreversé parmi les dessinateurs de caractères. Certains considèrent qu’il existe une continuité historique en matière typographique, d’autres parlent de plagiat.

Les formes des lettres n’ont pas changé significativement depuis l’invention de l’alphabet latin, et donc chaque approche d’un dessinateur de caractères peut être considérée comme une réinterprétation personnelle de l’alphabet. Mais je crois que la subtilité est devenue en matière de création typographique, aussi importante que la structure des lettres elle-mêmes. Il serait donc déplacé de renier les efforts de tant de typographes à travers l’histoire qui ont tenté passionnément de renouveler l’alphabet. Aristote dirait que notre alphabet, formé au cours des siècles par la main des calligraphes et les yeux des lecteurs est le phénomène auquel les dessinateurs de caractère ont donné une forme. D’un autre côté, il est vrai que quand j’ai dessiné le Quimera, je m’étais inspiré de la superbe Antique Olive de Roger Excoffon. Il s’agissait toutefois d’un hommage ludique. Je pense que ses caractères ne sont pas pris très au sérieux par la communauté des typographes en général, même si ils sont très utilisés dans le monde entier. Une drôle d’histoire, n’est-ce pas ? J’espère que Gérard Unger écrira un jour un livre sur l’ouvre d’Excoffon ! Nous en avons tous besoin, Gérard.

Pourquoi avoir continué vos études en France ?

L’ANRT, qui dépend du Ministère de la Culture, a une très bonne réputation dans mon pays, et représentait pour moi une opportunité rare de rester en Europe encore un peu après avoir finis mon Master à l’Université de Reading. J’ai passé avec succès un entretien au Musée d’Orsay et ils ont trouvé intéressant de me donner la possibilité de travailler sur mon projet Rayuela. Il s’agissait d’une combinaison parfaite de ressources, de tranquillité, d’un environnement agréable aux Beaux Arts de Nancy (Capitale de la Loraine), partagée avec des professeurs (principalement Suisses) qui visitaient régulièrement l’atelier pour nous donner des conseils. Je suis tout particulièrement reconnaissant à Philippe Millot et Hans-Jürg Hunziker pour leurs contributions.

Si vous comparez l’enseignement de la typographie en Amérique du Sud, en Grande-Bretagne et en France, quelles différences (si tant est qu’il y en est) voyez-vous ?

C’est une question difficile. Il serait très prétentieux de dire que mes expériences personnelles sont représentatives de ce qui se passe dans les pays concernés. N’est-ce pas ? Mon expérience à l’Université de Buenos Aires (pas du tout représentative de l’enseignement de la typographie en Amérique du Sud) était caractérisée par une approche très collective de l’enseignement. Partager quatre ou cinq heures chaque vendredi avec 300 étudiants peut vous donner une idée de ce que je veux dire. A Reading (GB) en revanche, l’approche était plus individuelle ; il fallait s’adapter avec la littérature, écrire des essais sur des sujets spécifiques, suivre des cours, et respecter les deadlines. L’ANRT propose enfin une approche plus collaborative, dans la mesure où vous partagez votre expérience et votre espace avec quatre autres étudiants (à qui je suis également reconnaissants). C’était une période plus relax, sans deadlines ni pression. Si vous savez exactement ce que vous voulez faire, c’est le meilleur endroit pour étudier. L’automotivation et l’automanagement est toujours très important où que vous étudiez, mais les gens autour de vous sont complètement différents. Je crois plus dans l’approche collective de l’enseignement.

Vous êtes argentin et travaillez désormais au Mexique. Pouvez-vous nous en dire plus sur le paysage typographique sud-américain ?

Tout d’abord, je tiens à rappeler que le Mexique est en Amérique du Nord. L’Amérique Centrale commence au Guatemala et s’achève au Panama, où commence l’Amérique du Sud. C’est une erreur commune en Europe, favorisé peut-être par l’idée que les pays latino-américains ont la même culture parce qu’ils parlent la même langue, ce qui n’est pas aussi évident. La manière dont nous parlons espagnol d’Ushuaïa à Tijuana, n’est pas exactement identique et est profondément lié à la culture qui existait avant la conquête espagnole.

Ceci dit, je dois accepter que vivant au Mexique, je suis plus familier de cette culture que si je vivais dans une autre partie du monde. Nous avons de nombreuses choses en commun dans notre manière de penser, nous sommes tous extravertis et très sociables par exemple. Mais nous sommes très différents aussi : la météo, les habits, la nourriture, les paysages, les accents, les odeurs, la musique, la religion, les couleurs, les blagues, la circulation, le sport, les choses de la vie quotidienne.

Afin de faire vivre le « paysage typographique » régional, nous travaillons dur avec des collègues mexicains  pour donner naissance à un volume destiné à compiler toutes les expériences graphiques en Amérique Latine. J’ai bien peur qu’il ne soit pas disponible de si tôt, car il y a encore beaucoup de travail à faire, mais nous sommes bien lancés. L’idée est de proposer à la communauté des graphistes et des typographes un document de référence. Nous espérons que ce livre donnera une meilleure idée du travail réalisé ici ainsi que de la diversité culturelle de la région.

Est-ce que cette culture peut-être une source d’inspiration (glyphes amérindiens, typographie coloniale) ?

Oui, je pense que ce type de sources ont été très utilisées par les designers latino-américains ces dernières années. De bons sites - comme l’argentin santotipo.com, le brésilien tupigraphica.com.br ou le chilien tipografica.cl - montrent combien s’est développé un engagement inspiré pour une typographie vernaculaire inspirée des affiches de rue et de la culture populaire. Avec des variantes locales, cette tendance se retrouve également au Mexique et dans d’autres pays latino-américains. Les graphistes se prennent d’enthousiasme pour leur propre culture graphique et la privilégie au lieu d’importer des formules prêtes à l’emploi, comme c’était le cas dans les années 1980. Quoiqu’il en soit, je pense que cet enthousiasme actuel engendrera de nouvelles expériences dans l’avenir, certainement significatives. Car dans le cas contraire, le risque est grand de se complaire dans une sorte de fétichisme, qui in fine, n’améliore pas vraiment la situation.

Je crois que le graphisme et la typographie peuvent refléter une culture de manière très expressive. Nos racines et nos caractères sont reflétés de la même manière en graphisme qu’en musique ou en nourriture, même si nous ne sommes pas directement concernés. Mais je pense que le monde oublie ces vues périphériques et que la culture « latino » est souvent circonscrite à un cliché superficiel où la couleur, la danse et la nourriture épicée joue un rôle important. J’espère que les gens iront plus loin que cela. Et que les graphistes ici pourront explorer et exprimer cette profondeur.

Mon travail en tant que créateur de caractères, comme le travail de bien d’autres dans la région, est le travail de quelqu’un qui croit que ces idées de diversité culturelle et d’identité subversive, sont les moyens nécessaires par lesquelles interagissent le designer et sa culture. La culture influence le designer et le créateur local, mais ce créateur a une responsabilité claire au regard de cette culture, en la reflétant, la poussant à bout, la discutant, la promouvant, la changeant, la renouvelant.

Je continue de travailler dans cette direction car je pense que nous sommes tous en train d’évoluer vers cette voie. Et j’encourage habituellement mes étudiants à suivre cette direction. J’espère que de nombreux autres designers font de même.


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