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Jean-François Porchez

 

[Août 2001]
La création de caractères est autant affaire culturelle que commerciale.”
Jean-François Porchez


Typofonderie

Comment êtes-vous venu à la création de caractères typographiques ?

Il y existe des écoles, mais la plupart des typographes ont appris de manière très différente ; c’est cela qui est bien. En ce qui me concerne, j’ai eu une formation dans les métiers de l’imprimerie et des industries graphiques. Je n’ai pas eu une formation de dessinateur de caractères mais j’apprend depuis quelques années auprès de certains dessinateurs en leur posant des questions : je prend des cours de calligraphie, consulte des livres et des sites internet consacrés à la lettre, j’essaye de participer à des stages sur des sujets précis. En typographie, tu es étudiant à vie, sans la carte et ses avantages. Même si tu fais beaucoup d’erreurs, tu apprends ce que tu veux, les techniques que tu veux et à ton rythme. Ça, c’est bien !

Vous avez longtemps travaillé en agence. Vos premières typos ont été distribuées par des fonderies traditionnelles (si je puis dire). Qu’est-ce qui vous a poussé à créer votre Porchez Typofonderie ?

Pas si longtemps que ça, 3 ans en agence sur 12 ans d’expérience professionnelle! La distribution via les majors reste le moyen sans doute le plus facile pour être reconnu sur la scène internationale, mais le choix des distributeurs reste fondamental. C’est sans doute des distributeurs ou fonderies moyennes issues de l’arrivée du PostScript qui sont aujourd’hui les meilleurs et respectueux de la typo, comme les FontFont, Emigre ou Font Bureau. Certains “gros”, comme Agfa sont assez mauvais, dans tous les sens du terme: mauvaise image, mauvais taux réel de royalties, technologie assez médiocre, etc. Je n’ai d’ailleurs plus de caractères chez Agfa depuis le 1er juin 2001.

Le MondeLa création de ma propre fonderie est la résultante de deux choses, la création de la famille Le Monde en 1994 étendue en 1997 pour la distribution publique, et les expériences d’Américains, tel Sumner Stone, Matthew Carter vers 1992 puis de plus jeunes par la suite tel Jonathan Hoefler m’ont indiqué une direction à suivre. Elle semble aujourd’hui, plus encore avec l’arrivée du nouveau media qu’est le web, la meilleure voie.

Et si on devait comparer les différents canaux de distribution que vous utilisez pour distribuer vos caractères, lesquels sont les plus intéressants?

Je pense y a voir répondu plus haut? La notoriété, l’image de marque, les références constituent les éléments clés, dans le sens ou sans eux, les distributeurs restent indispensables.

La plupart de vos caractères sont des caractères de labeur. Est-ce un choix ?

Je n’aime pas ce terme et la manière de mettre dans des catégories, les caractères. Par contre, il est indéniable que mes caractères sont très souvent issus d’une longue réflexion quand à leur références, principe de construction, concept, ou connotations. Un caractère n’est jamais le fruit du hasard le plus complet, même si des fois, il se construit rapidement, les idées qui ont permis son apparition résultent d’un long processus de maturation.

BanjoVoyez par exemple, l’Anisette Petite (que je viens de terminer en cette fin juin après deux mois de travail), des minuscules pour l’Anisette conçu en 1996. L’idée me trottait dans la tête depuis fort longtemps, mais n’était pas prête. De même pour l’Ambroise, terminé en avril 2001, les premières ébauches datent d’il y a 3 ans, justes 3-4 signes, elles sont restées en plan jusqu’a l’été dernier péroide à la laquelle j’ai fini par comprendre ce que je pouvais en faire. L’idée est longue à visualiser, mais les dessins eux-mêmes sont en comparaison rapide.

Le fait d’arme qui vous a fait connaitre d’un plus large public est la création d’un nouveau caractère pour le journal "Le Monde". Comment avez-vous réussi à convaincre le journal ? De plus, vous enseignez, participez à des conférences, représentez l’ATypI en France. Etre typographe signifie-t-il également être pédagogue ? Et homme de marketing ?

Spécimen typographiqueLa pédagogie est depuis toujours un ingrédient fondamental dans mon travail. Expliquer, convaincre, pour mieux vendre! Il ne faut jamais prendre ses clients potentiels pour des incompétents dans notre domaine. A un niveau plus large, conquérir le public à la cause d’une typographie de qualité quelle quelle soit et ce sans arrières pensées reste fondamentale, même si mon métier a quelque chose d’élitiste, l’usage des caractères ne l’est plus depuis les Mac et les PC, toute personne à potentiellement le loisir de choisir, de préférer certains caractères à d’autres.

Pour vendre le nouveau caractère au journal Le Monde, qui ne réclamait rien de particulier à ce propos - je les avais contacté pour leur proposer un caractère dont ils n’avaient pas besoin - il fallait leur démontrer lors de la première présentation l’intérêt d’un nouveau caractère, pour des questions d’image, de culture, de lisibilité. Ce fut le moment clé, sachant que l’ouverture d’esprit de journalistes du Monde était à mon avantage, je savais qu’ils accepteraient "mon cours  particulier de typographie"!

C’est pour des raisons similaires que je publie une Gazette sur mon site web, il me paraît en effet bizarre de prétendre vendre des caractères typographique sans rien expliquer de la typographie, et des problématiques auxquelles les créateurs typographiques sont confrontés. C’est par une meilleure compréhension du domaine, que le lecteur s’ouvre les yeux sur le monde de la typographie. Les caractères typographiques sont l’intermédiaire entre la pensée d’un auteur et d’un lecteur, ils sont au croisement de deux monde, pour cela  leur conception et distribution ne peuvent être abordés à la légère. C’est une affaire autant culturelle que commerciale, la création de caractère.


Articles associés: Le Monde (Août 2000) & Ambroise (Août 2001), portraits de caractère.