Planète typographie MyFonts
Thierry Puyfoulhoux

 

[Mars 2000]
On n’a voulu de toi ni dans la police nationale ni dans les polices d’assurances, essaye les polices de caractères !”
Thierry Puyfoulhoux


Présence Typo

On trouve de nombreuses fonderies indépendantes sur le web, certaines avec des objets très spécifiques. Quel est votre objectif commercial / esthétique / personnel avec PrésenceTypo ?

C’est avant tout un désir d’autonomie. Soigner la présentation et la promotion de mes polices, chose difficile à réaliser quand on a quelques milliers de fontes en magasin. Et puis je tiens à connaître mon public.

De plus le nom des créateurs ne figure pas souvent au côté des fontes dans les catalogues, c’est dire en quelle estime on les tient. Dans l’édition il devrait être obligatoire de mentionner le nom des caractères. Après tout les photos sont bien signées dans la presse. Photorevue avait innové dans les années 80, chaque portfolio avait un caractère de titrage différent et le nom de la fonte était cité en bas de page.

A quoi ressemblait votre premier caractère ?

Comme la première nuit d’amour. Vous ne voulez pas qu’on parle d’autre chose?

Si ! Quelle est votre création préférée ?

Classica a été très plaisant à dessiner mais Présence devrait faire une belle carrière, le dessin est très propre. Les linéales peuvent parler autant que les « sérifs »  et avec moins d’artifice mais c’est un dessin qui réclame de la maturité pour ne pas répéter ce qui a déjà été fait.

Comment devient-on créateur de caractères ?

En arrivant premier dans un concours de circonstances. On n’a voulu de toi ni dans la police nationale ni dans les polices d’assurances, essaye les polices de caractères!

Tu es trop mauvais pour devenir illustrateur, suffisamment paresseux pour ne faire que ce qui te plaît, tu sais scanner des vieux catalogues de fonderies, alors tu peux devenir dessinateur typographe!

Il y a de très bons autodidactes, Jean-Jacques Tadjian (radiateur fonts), Christophe Badani mais le plus simple est encore de suivre une filière art graphique. Il y a maintenant pas mal d’écoles avec de bons professeurs qui sont presque tous passés par le Scriptorium de Toulouse.

Que faisiez-vous à l’Imprimerie Nationale ?

En tant que stagiaire, je me suis fait les griffes sur une création de José Mendoza destinée aux imprimés administratifs. J’y ai dessiné les capitales du romain et tout le gras italique, tout ça sur carte à gratter, à l’ancienne. Le grand maître passait deux fois par semaine pour constater l’ampleur des dégâts. Ça devait lui tordre les tripes de voir des débutants lui massacrer son bébé.

Et à Dragon Rouge ?

Je travaillais en image de marque. Logos et Chartes graphiques. 14 mois c’est suffisant pour savoir qu’on n’est pas fait pour le travail en équipe.

La plupart de vos créations sont des caractères de labeur. Est-ce un choix ?

Non. Certains sont doués pour le freestyle, d’autres pour le marathon. Bien que ce soit le bon terme, j’essaye d’éviter ce mot de labeur qui rappelle trop le travail et la souffrance. Mais c’est effectivement la formule consacrée: la ligne de texte telle le sillon du laboureur et le geste auguste du semeur et les petits oiseaux et tout ça et tout ça !...

Quelle est l’origine des noms de vos caractères ?

Adesso: C’est de l’italien, j’habite à 50 km de la frontière, beaucoup de Hauts-alpins sont originaires du Piémont.  Cela signifie « maintenant, à présent, tout de suite ». C’est un message subliminal: utilisez mes fontes dès à présent. À bon entendeur salut! 
Classica: « Renaissance » était déjà pris.
Présence: souhaitons à ce caractère d’être présent sur toutes les imprimantes du monde. Ne rêvons pas, sa présence sur quelques centaines de disques durs sera suffisante. 
Tuxedo: c’est le nom américain du smoking. L’air compassé et élégant. Le caractère qu’il vous faut pour les dîners guindés chez l’ambassadeur.

Certaines de vos fontes sont distribuées par Creative Alliance et vous avez décidé de lancer votre propre fonderie. Quel est le parcours classique d’un jeune créateur de caractères désireux de commercialiser ses fontes ?

Il y a deux possibilités. Laisser une grosse structure comme Agfa ou Fontshop diffuser en exclusivité son travail. On touche ainsi un large public, pour quelqu’un qui débute c’est une bonne promotion. L’inconvénient c’est que vos créations sont noyées parmi des milliers d’autres fontes. Ce que l’on peut reprocher à certains distributeurs, c’est de vendre à 99% la même chose que le concurrent, la différence se faisant sur  les promos. C’est une politique de supermarché. Les fontes sont vendues comme des salades.

L’autre solution, c’est de monter sa fonderie. « Less is more ». On vend sûrement moins mais on connaît ses clients et c’est plus de bénéfice dans la poche du designer. Cela n’empêche pas de faire également distribuer ses créations par le circuit des gros revendeurs.

Quel est votre prochain défi ?

Me marier avec Carole Bouquet et battre Mike Tyson aux billes. Pour redevenir sérieux j’ai deux « revivals » sur le feu. L’un est un caractère américain du XIXème siècle. Pour une fois ce ne sont pas des Yankees qui sortent une énième version du Garamond mais c’est un petit Français qui est allé fouiller dans leur grenier. L’autre est une création inédite d’un grand théoricien de la mise en page du XXème siècle. Je continue également d’agrandir la famille Classica avec des swashes et des ligatures pour capitales.


Article associé: Présence, portrait de caractère (Mars 2000).