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Alain Hurtig

 

[Janvier 2003]
Typographie :
la liste des “coupeurs de cadratin en quatre”
Interview de Alain Hurtig

   

De quelle typographie parle-t-on dans la liste Typographie ?

Liste TypographieIl n’y a pas d’ordre du jour : une liste de diffusion est faite de ceux qui la composent, et reflète leurs centre d’intérêts. Les débats naissent du hasard, ou de l’envie de tel contributeur d’aborder un sujet, de voir un point s’éclaircir à ses yeux (ou de polémiquer por le simple plaisir de le faire : ça arrive ;-)). Comme le mot «typographie» a plusieurs sens - de la création des lettres jusqu’au montage des pages, en passant les choix de maquette (en publicité, une « typo » désigne même la police de caractère elle-même !) - je serais tenté de dire qu’on y parle de tout.

Mais de fait, les problèmes liés à la lecture sur écran, aux pages électroniques (le Web par exemple), y sont peu abordés. Les questions purement esthétiques ou formelles, comme l’articulation entre le texte et l’image, la discussion autour de polices de caractères (la critique de nouvelles polices, par exemple) et les techniques de création, qu’il s’agisse de polices ou de mise en pages, ne le sont guère plus. On le regretter : ces débats-là n’ont jamais réellement  accrochés les contributeurs.
Cela étant, la matière est suffisement vaste et riche : il y a plein de choses à discuter, et il est rare qu’on s’y ennuie.

La liste est en effet connue pour avoir été un lieu mémorable de débats. Pouvez-vous nous en donner quelques exemples...

Quelques souvenirs marquants : un cahier des charges pour un logiciel «  idéal » de mise en pages (le document final existe, et est disponible sur le Web), l’usage et le mésusage des petites capitales, la taille des exposants dans la composition des sciences, les problèmes posés par l’évolution de l’encodage des polices (autour d’Unicode et d’OpenType), les avantages et inconvénients de PostScript par rapport à TrueType, l’origine de l’arobace (un débat récurrent !), l’émergence des « e-livres », l’histoire des familles de caractères, la différence entre une lettre et un glyphe (lequel est le dessin de cette lettre, si j’ai bien compris)...

J’en oublie, forcément : la liste Typographie est existe depuis 1997 ! Nous sommes sans aucun doute des amoureux du débat, parfois rude, souvent rempli d’humour : des « coupeurs de cadratin en quatre » ! (la taille et la valeur du cadratin, un problème délicat, nous a bien sûr valu un long flot de mails).

Mais les débats portent aussi très souvent sur des problèmes de règles et d’usage, d’orthotypographie, de bon français, de l’emploi des « codes typographiques », de césure... Notre maître en la matière, l’animateur de ce genre de débats, était Jean-Pierre Lacroux, bien connu également sur d’autres listes consacrées à la langue française et sur Usenet. Je voudrais saluer ici sa mémoire : Jean-Pierre est mort au début du mois de novembre. C’est une perte irréparable pour la typographie française. Et c’était un ami.

Considéreriez-vous cette liste comme tout public ou réservé à un public averti ?

Il est difficile de savoir ce que pensent et qui sont les lecteurs « passifs » (une majorité, comme sur toute les listes de diffusion et de débat), mais il est rare que des questions restent sans réponse : c’est à la fois un lieu de débat et un lieu d’apprentissage. La liste Typographie regroupe des gens venus d’horizons très divers : des professionnels, des amateurs éclairés, des débutants. On y trouve des enseignants à l’école primaire, des dessinateurs de police, des profs de math, des maquettistes, etc. mais nous avons tous en en commun, bien sûr, l’amour de la chose imprimée.

Alors je dirais : la liste s’adresse à tous ceux qui s’intéressent, à quelque titre que ce soit, à la typographie. Et chacun y est le bienvenu.

Changeons de sujet, qui est Alain Hurtig ?

Un typographe autodidacte, et un maquettiste exé. Formé au journalisme et au secrétariat de rédaction, je me suis lancé dans la mise en pages de livres en 1987 : nous étions des pionniers ! J’ai appris, lentement et sur le tas, et j’ai exercé bien des métiers des arts graphiques, du catalogue de supermarché au flashage. Mon activité dans le livre est actuellement réduite à mes loisirs (le marché, en France, est très restreint) et se voit surtout sur mon site Web, où « j’expose » mes travaux personnels...

Le reste, c’est de l’alimentaire, du travail pour vivre. Surtout de l’exécution (laquelle a sa noblesse et peut devenir une passion, pourvu qu’on s’y prenne bien). À ce propos, je suis actuellement au chômage : si un lecteur de cette interview a un emploi à me proposer...

Vous êtes un utilisateur de caractères ? Avez-vous été tenté par la création ?

Je n’ai jamais vraiment créé de police de caractères : sans doute suis-je trop mauvais dessinateur ! Je me contente de rajouter des ligatures lorsqu’elles manquent, de retravailler les approches, de bricoler les accents si c’est nécessaire. Mais je suis passionné par la forme des lettres, amoureux d’elles : en typographie, le « pied de la lettre » n’est pas une vaine expression ;-).

Au final, ce qui est intéressant, c’est l’effet produit par une police sur le texte, la couleur particulière qu’elle va donner à une page (et ainsi influencer subtilement l’acte de lecture), c’est l’adéquation entre une police et un texte. Le gris typographique, la tension entre la masse grise du texte (plus ou moins grise, selon la police et les réglages du logiciel) et le blanc des marges, le jeu des blocs entre eux : tout cela me paraît être l’essence même du métier, et son plaisir si particulier.

Vous semblez éprouver une affection particulière pour le Baskerville ?

Vous aviez remarqué ? :-))). Mais les quelques pages Web que je lui ai consacré sont loin d’épuiser le sujet, et ne parviennent pas à dire l’immense plaisir qu’on a en travaillant en baskerville !


Sites: Sa galerie online
& le site IRISA de la Liste Typographie