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[Avril 2001]
Protection des caractères typographiques :
La problématique américaine
par Jack Yan, typographe

   

« Promouvoir le statut des polices de caractères comme ouvres d’art à part entière et à ce titre défendre le droit de leur créateur à bénéficier de la loi de la protection de la protection intellectuelle ».
Telle est la mission de TypeRight, une organisation américaine qui défend le droit à protéger les polices de caractères, un droit qui n’est pas reconnu aux Etats-Unis.

C’est que le processus de création d’une police de caractères est comparable à celui de création d’un tableau ou d’une sculpture. C’est un travail de plusieurs mois pour son créateur qui, pour reprendre les termes de Jack Yan, « joue avec les empattements comme un compositeur joue avec les notes de musique ».

Le Bureau américain des copyrights (US Copyright Office) refuse toujours officiellement de protéger les polices de caractères. Cet état de fait est imputable à une mécompréhension, qui fait qu’aujourd’hui les Etats-Unis sont le seul pays du monde occidental à ne pas reconnaître de propriété intellectuelle pour le dessin des caractères typographiques.

Le Congrès et le Bureau des copyrights

De 1911 à 1976, les polices de caractères furent protégées aux EU et ce jusqu’au vote du Copyright Revision Act.

Le Bureau des copyrights a été confronté de nombreuses fois depuis. Même, si les polices de caractères n’ont jamais été considérées comme relevant du domaine public, le Bureau n’a jamais indiqué que les polices pouvaient bénéficier de la protection des copyrights à l’image des autres ouvres artistiques.

Malheureusement, cette position se fondait partiellement sur des considérations de maintien de concurrence à un moment où le droit de protection de la propriété intellectuelle n’était pas aussi fort qu’aujourd’hui. On craignait, en effet, qu’en protégeant les polices de caractères, on allait entraver la libre concurrence. Dans les faits pourtant, dans les pays où les polices de caractères sont protégées, la situation inverse peut être inversée : de nouveaux caractères sont créés régulièrement, sans craindre d’être copiés par des gens peu scrupuleux.

L’absence de protection pour les caractères constitue une véritable anomalie ; une photographie ou un dessin requièrent le même effort créatif qu’une police de caractères, et pourtant ceux-là sont protégés par la loi.

La jurisprudence

Lorsque la société Eltra (Eltra vs Ringer, le procès qui en la matière fait référence) fut jugée, les polices de caractères n’étaient pas autant utilisées qu’aujourd’hui. Il y avait également beaucoup moins de caractères en circulation, a la différence d’aujourd’hui (les logiciels actuels de création typographique sont beaucoup dans cette évolution). Avocats et magistrats jugèrent dans ce cas  que les polices caractères avaient un caractère utilitaire. Leurs arguments étaient basés sur des notions anciennes, à un moment où la question de la propriété intellectuelle ne constituait pas un débat aussi crucial qu’aujourd’hui.

La pratique des Cours d’Appel et de la Cour Suprême est de poser les questions/filtres suivantes :

a) quelle part du travail faisant l’objet du débat est dicté par des notions d’efficacité, de fonction ou de nature ?
b) que reste-il ensuite ? et qui relève de la notion de création artistique.

Ce test est plus approprié à la nature des polices de caractères que le test de l’ « observateur ordinaire ». La plupart des observateurs se peuvent distinguer de différences entre des caractères similaires. De plus des efforts créatifs similaires peuvent se retrouver l’un dans l’autre.

Dans le procès Lotus vs Borland (1-2-3 vs QuattroPro), la cour a démontré qu’elle voulait prendre en compte la nature du produit. Ils indiquèrent ainsi que la hiérarchie d’un menu Windows (’File’, ’Edit’, etc.) ou les boutons ’play’ ou ’record’ d’un magnétoscope relevait de la nature même des produits. En revanche, il y avait des aspects de QuattroPro qui lui étaient spécifiques et pouvaient être considérés comme relevant du domaine artistique. D’autres autorités sont arrivés aux mêmes conclusions.

En toute logique, le fait qu’un logiciel puisse être considéré comme une ouvre artistique, jette une ombre sur l’attitude du Congrès en matière de polices de caractères.

Pour une police de caractères, l’ordre des signes (code ASCII) ou le fait que les lettres ayant vocation à permettre la communication, ressemblent peu ou prou à l’alphabet tombe sous le coup de la nécessité. Mais tout utilisateur de caractères typographiques reconnaitra qu’au delà de ces deux points, les polices de caractères ont des qualités propres qui relèvent de la création artistique.

Les polices de caractères, après tout, sont différenciées d’après leurs qualités artistiques. Et vendues en fonction. C’est une réalité commerciale objective. Ce serait un non-sens de penser qu’elles puissent ne pas bénéficier de la protection de la propriété intellectuelle.

La Convention de Berne

Il est évident que la position américaine en matière de copyright s’inscrit en faux avec les politiques mises en ouvres dans les autres pays développés. Les Etats-Unis se posent en défenseur de la propriété intellectuelle quand on parle de logiciels, mais ignorent la question des polices de caractères.

Les obligations des Etats-Unis en tant qu’Etat signataire de la Convention de Berne est de respecter les droits d’auteur des créateurs de caractères, si ces droits sont reconnus dans le pays où ils résident. Les polices de caractères créées en dehors des Etats-Unis sont donc sujets à la loi de la protection de la propriété artistique. On voit mal pourquoi les polices de caractères créées localement devraient être traitées différement (cf GATT articles 1 & 3).

Droit moral

De plus, les législations de protection de la propriété intellectuelle du Commonwealth et de l’Union Européenne reconnaissent de plus en plus des droits moraux de l’artiste sur son ouvre. Les législations européennes placent le droit d’auteur avant le droit économique d’exploitation. Ceci signifique qu’une ouvre d’art - et les polices de caractères sont considérées comme telles en Europe - doit être traité de manière honnête et de bonne foi.

Un arrêt récent de la Cour Suprême (Monotype Corp. vs International Typeface Corp.) montre qu’au contraire, seuls les droits commerciaux peuvent être protégés aux Etats-Unis. Ce cas a été combattu contractuellement et montre toute la difficulté d’utiliser des notions de droit commercial classique dans ce qui relève du domaine de la protection intellectuelle.


Jack Yan, Jack Yan & Associates - d’après un article original publié sur le site de Typeright traduit en 2000 par J-C Loubet del Bayle

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